Revue de presse
Magatte Wade (maire) : Le développement à l’échelle locale est possible
Meckhe est la capitale de l’artisanat au Sénégal : 5 km2, 30 000 habitants, 8000 artisans, 250 ateliers de cordonniers… Magatte Wade, son maire depuis sept ans, nous fait découvrir l’intimité de cette ville et détaille l’action menée en faveur d’un développement local et durable.
Propos recueillis par Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet
Comment entre-t-on dans la peau d’un maire ?
Entrer dans la peau d’un maire, c’est retourner sur son terroir. C’est être un Meckhois, vivre les réalités des Meckhois et avoir l’ambition de partager son expérience et sa vie avec eux pour leur développement et leur plein épanouissement.
La ville de Meckhe est un hub géostratégique unique au Sénégal. Ce n’est pas pour rien que le président Wade a choisi notre ville pour en faire la ville nouvelle du pays.
Vous aviez passé 22 ans à la Banque africaine de développement, notamment à sa direction de la Communication. Lorsque l’on passe du global au local, comment les choses se passent-elles ?
Question intéressante ! Il serait bon que la plupart de ceux qui vont vers le global partent du niveau local. Ceci parce que les réalités sont totalement différentes.
Quand je suis rentré au Sénégal, j’ai constaté un décalage entre les approches et la réalité du terrain. Quand aujourd’hui vous changez votre lecture de l’état des populations africaines en milieu rural, vous obtenez une vision différente de la pauvreté et des aspirations au développement et au bien-être. Être maire ici aujourd’hui me donne l’opportunité de m’imprégner de cette réalité locale et de tirer les leçons de mon expérience internationale pour essayer de répondre aux besoins immédiats. C’est-à-dire assurer un minimum de sécurité en termes de santé, d’alimentation, d’éducation et de cadre de vie.
Un maire doit être proche de ses populations, échanger avec elles et travailler pour que les mentalités changent en profondeur et se tournent vers le développement durable. C’est ce que nous essayons de faire à Meckhe et je pense que nous avons presque réussi ce pari.
Vous le voyez, il est très important quand on est maire, d’être proche des populations et de comprendre ce qu’elles veulent et ne veulent pas. Tandis que dans les institutions, à un niveau macro très élevé, on pense toujours que ceci est bon pour les populations et que cela ne l’est pas. Je pense qu’il faut partir des besoins propres au niveau local pour élaborer des solutions.
Un maire doit s’occuper de l’éducation, de la santé, des infrastructures de sa cité. Autant d’éléments qui assurent la cohérence de la vie des habitants. Or, le nerf de la guerre, c’est aussi le financement. Comment aujourd’hui financer les projets ?
Neuf compétences sont dévolues au maire par l’État par un décret de 2013. Celui-ci attribue également des fonds de dotation, mais ceux-ci sont loin de satisfaire la demande dans les secteurs qui ont été transférés au maire. Pour autant, ces fonds restent appréciables, car ce serait une catastrophe s’ils n’existaient pas. Ce qui ne nous est pas transféré, ce sont des secteurs porteurs et très riches tels les télécommunications ou les mines. Vous pouvez imaginer les conséquences pour nous de nous adosser géographiquement au secteur minier et de ne pas en tirer un profit optimal.
Aujourd’hui, imaginez un maire qui gère la santé à fonds perdu. On ne parviendra jamais à satisfaire la demande dans ce secteur. Certes, Meckhe, dispose d’un centre de santé bien équipé et quatre postes de santé, ainsi que celui des sapeurs-pompiers qui vient en appui.
Pour autant, les populations sont démunies et la mairie donne chaque année une douzaine de millions de francs CFA pour les aider à se fournir en médicaments. Sans tenir compte des aides que nous attribuons au niveau social pour assister les malades. Considérez l’éducation. Nous avons dix établissements primaires, trois collèges, un lycée, deux collèges privés et 36 daara (écoles coraniques) et nous versons à peu près une quinzaine de millions de F.CFA chaque année pour les aider.
Nous traitons également du cadre de vie, c’est-à-dire l’environnement. Nous installons des puisards, nous reboisons, nous luttons contre l’insalubrité, assurons le ramassage des ordures… de telle sorte que nous sommes parfois obligés d’utiliser notre carnet d’adresses. Nous faisons appel à des partenaires techniques et financiers et aux partenaires du gouvernement comme l’ICG, pour nous aider à gérer les déchets et renforcer nos investissements dans des secteurs à haute consommation de ressources, comme l’éducation et la santé.
Une ville sert aussi de laboratoire sociologique et économique. Cette proximité permet de tenter des expériences et d’explorer des politiques au bénéfice du bien-être de la population. Hélas, très souvent, ce mot de bien-être est ignoré en Afrique…
Ce qui est intéressant au niveau local c’est que l’on peut travailler au changement des mentalités. Le grand problème de l’Afrique, c’est le mindset. Au niveau local, vous avez un micro-environnement et vous devez travailler sur un levier essentiel qui est le changement des mentalités. Tant que les mentalités n’auront pas changé pour comprendre les enjeux du développement et pour accepter les changements structurels qui s’imposent, il n’y aura pas de développement.
À Meckhe, ce que nous avons le mieux réussi, c’est de changer les gens et de leur faire comprendre que le développement local est possible. S’ils sont les acteurs principaux du changement, cela devient beaucoup plus facile pour le maire. Il doit être proche de ses populations, échanger avec elles et travailler au niveau de la sensibilisation et de la communication pour que les mentalités changent en profondeur et se tournent vers le développement durable. C’est ce que nous essayons de faire à Meckhe et je pense que nous avons presque réussi ce pari.
Les jeunes et les femmes ont accepté le changement et même les plus vieux, qui y étaient les plus réfractaires, ont commencé à s’y ouvrir. Prenez l’exemple de l’artisanat. Vous savez que les artisans étaient une caste mais qu’aujourd’hui l’artisanat est un métier. Le changement principal qui s’impose est de comprendre cela. Le changement le plus frappant à Meckhe est que les métiers d’artisanat qui étaient dévolus à des castes de forgerons et de cordonniers sont pratiqués aujourd’hui même par des petits-fils de roi !
C’est un changement important, surtout dans un milieu traditionnel, là où subsistait un royaume féodal. J’ai beaucoup apprécié ce changement qui a fait que les gens comprennent que l’artisanat est un métier et que les jeunes s’y adonnent pour gagner leur vie. Cela est porteur de croissance et de progrès et crée des emplois et des richesses.
De cette vue de l’intérieur, peut-on avoir une idée des verrous et des freins qui empêchent un maire de conduire sa politique même s’il en a les moyens ? Quels sont aussi les éléments que l’on n’observe pas nécessairement quand on est à l’extérieur de ce type de ville ?
Pour les connaître, il faut d’abord des études et des statistiques. Nous avons réalisé la monographie de l’artisanat avec l’ANSD (Agence nationale de la statistique et de la démographie) car il faut des données pour faire la différence. Nous avons un plan de développement communal et un plan d’investissement. Un maire doit être proche de ses populations, mais il ne s’agit pas de proximité physique. Il faut avoir le souci de partager sa vision avec sa population, de définir une mission commune et d’avoir un plan de développement partagé.
Ce plan, pour être élaboré, doit être inclusif et participatif. Une fois cela fait, les populations seront bien plus disposées à accepter les changements. C’est par ce seul moyen que nous pourrons véritablement développer nos villes. Aujourd’hui à Meckhe, nous avons presque réussi ce pari et nous avons activé le levier du changement des mentalités. Les populations prennent elles-mêmes en charge les grandes orientations et aussi les grandes actions pour changer ce qui doit l’être pour que la ville connaisse un développement durable.
Quel regard portent sur vous vos collègues ? On imagine que votre expérience fait des jaloux.
Je ne parlerais pas de jalousie, mais les débuts étaient parfois difficiles parce que beaucoup me voient davantage comme un technocrate que comme un politique. Comme si être un politique était un avantage ! Or le politique est celui qui a une vision, qui fait adhérer sa population à celle-ci et essaie de promouvoir le développement. Je suis pourtant bien plus perçu comme un technocrate, quelqu’un qui lutte contre la corruption et les pots-de-vin.
Tout cela n’est pas important. Ce qui compte c’est que j’obtiens des résultats, que j’ai introduit des mutations importantes et que ma ville a connu un fort développement en sept ans.
Aujourd’hui, on connaît mal la dimension de la coopération décentralisée. Comment bénéficiez-vous de cette chance de pouvoir vous appuyer sur des outils ouverts à l’international ?
C’est très simple, il faut d’abord avoir de la crédibilité ! On ne fait pas trop confiance aux maires car on pense que la plupart d’entre eux détournent de l’argent. De sorte que les investisseurs et les bailleurs sont un peu réfractaires à engager une coopération avec les maires, dans le souci de préserver leurs ressources. C’est pour cela qu’il faut de la crédibilité.
La deuxième chose, c’est qu’il faut être en mesure d’élaborer des programmes et des projets qui soient convaincants. Aucun bailleur, ni aucun partenaire, ne viendra s’aventurer dans un programme s’il n’est pas convaincant. La troisième chose est qu’il faudrait des partenariats gagnant-gagnant.
Vous le voyez, tendre la main est presque révolu et aujourd’hui il me faut convaincre que j’ai quelque chose à apporter. Je dis aux Français et aux Américains : « Qu’est-ce que je peux apporter dans le cadre de cette coopération, avant que vous me disiez ce que vous pouvez apporter ? »
Et je leur dis que je peux héberger les personnes âgées en hiver, former les jeunes issus de l’immigration africaine aux métiers de l’artisanat, fournir aux parcs de leurs pays des lampadaires solaires produits dans notre usine et accueillir des jeunes pour des vacances citoyennes. La ville dispose aussi de ressources humaines faites de retraités et de gens compétents que je peux leur envoyer s’ils en ont besoin. Ils me présentent ensuite ce qu’ils peuvent faire.
À mon arrivée, la coopération avec la ville de Saint-Dié-des-Vosges, en France, existait depuis 22 ans, mais elle était « dormante ». Nous avons réactivé cette coopération et aujourd’hui nous présentons un projet de gestion des déchets solides, qui marche très bien et a connu un franc succès au Sénégal.
Nous sommes aujourd’hui à la porte de la FICOL (Facilité de financement des collectivités territoriales) pour pérenniser ce projet conjoint entre nos villes et les gouvernements français et sénégalais. Un assistant technique nous apporte son expérience et nous travaillons avec un comité de pilotage conjoint pour le contrôle des ressources.
Pour accroître ma crédibilité auprès des partenaires, je leur ai demandé de gérer eux-mêmes la partie des ressources qu’ils mettent à notre disposition. Cela convainc les partenaires… Les villes ne peuvent se développer que dans le cadre d’un partenariat national et d’un partenariat international !
HBY et NB
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